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Information sur l'auteur

Emeline Pasquier est une observatrice de l'entreprise à la double expérience, le conseil en organisation et stratégie, et le management en communication et développement durable. Elle est membre du bureau de l'association Innovation Citoyenne et Développement Durable (ICDD).

Le retour de l’universel

A l’heure où de nombreuses voix s’élèvent dans l’entreprise pour dénoncer l’absence de valeurs partagées auxquelles se rattacher, la difficulté à donner du sens à l’action, la perte du collectif, et sans doute aussi un fort individualisme, je suis frappée de constater qu’une autre tendance se fait jour, avec une acuité de plus en plus forte, que j’appellerai le retour de l’universel. Discrète, cette tendance pourrait passer presqu’inaperçue si elle ne laissait pas transparaître quelques signes probants qui sans jamais la nommer lui donnent une consistance bien réelle. L’un d’entre eux, le développement durable, en est pourtant une belle illustration dans son manifeste pour un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs (rapport Brundtland, 1987). Quoi de plus universel qu’une réflexion sur notre monde et sur son devenir ?

D’aucuns vont dire que le développement durable est déjà un terme galvaudé, que c’est un effet de mode et que rien ne sera jamais différent de ce qui existe aujourd’hui dans les manières de faire et d’être des hommes, des entreprises, c’est finalement ainsi et cela témoigne sans doute d’une nature humaine moins humaniste qu’on voudrait bien le dire. Seulement d’autres et j’en suis ont la conviction qu’il se passe quelque chose de radicalement différent de ce qui existait hier. Je pense au Club de Rome (The Limits to Growth, 1972), à ce groupe de réflexion dont les travaux éclairés et à large impact profitaient en réalité à une petite minorité d’experts et d’élites à ce plus haut niveau de décision où les places sont peu nombreuses, et où les débats deviennent quasi confidentiels. Je pense à ce Club en me réjouissant de constater que le fruit de leurs travaux est aujourd’hui une donne largement partagée jusqu’à ce citoyen lambda qui est interpelé chaque jour lorsqu’il est dans l’expression de ses besoins. En est-il acteur engagé ? A-t-il les moyens de ses envies et de ses convictions ? En est-il seulement conscient ? Pas toujours ; mais force est de croire que le temps fera son ouvrage et qu’il le deviendra.

Beaucoup accusent le développement durable de tous les maux possibles. C’est une occasion de se donner bonne conscience, le nouveau défi de toute communication bien huilée,  un prétexte pour détourner l’attention, la perspective mercantile de marchés lucratifs, ainsi qu’une lourde contrainte de plus en plus réglementée ; mais que font-ils de cette lame de fond qui questionne chacun de nous sur ce qui est le plus fondamental et qui nous somme de nous interroger sur le pourquoi et surtout sur le comment ? La préservation de l’environnement, le respect des droits fondamentaux, la mise en place de modèles économiques viables et durablement responsables, sont des sujets qui dépassent largement l’individu, l’entreprise, dans la mesure où ils touchent à l’universel, à ce qui nous concerne tous. Or, tous ces sujets, et c’est sans doute cela le plus essentiel, sont de plus en plus les invités d’honneur de nos grands débats, de nos grands enjeux, de nos politiques… et de nos réflexions individuelles. Une conscience collective est née, fruit de l’ histoire de notre développement.

S’il est possible de s’en moquer, s’il est possible de ne pas y croire, s’il est possible d’en être un fervent détracteur ; il n’est plus possible d’ignorer cette tendance. D’autant que les signes s’accumulent comme autant de témoins d’un contexte qui porte le retour de l’universel. Je voudrais citer des initiatives phares comme le Pacte Mondial des Nations Unies qui invite les entreprises qui le souhaitent à s’engager ensemble sur des grands principes universels et à agir dans cette voie, la récente ISO 26000, qui porte pour la première fois une définition commune de ce que devrait être le développement après de longs mois de travaux avec un parterre de parties prenantes (ONG, entreprises, organisations syndicales, pays, villes, citoyens,…) jamais égalé tant par le nombre (plus d’une centaine) que par la diversité des acteurs en présence. Je veux aussi revenir sur ces initiatives comme le Sommet de Copenhague dont le résultat perçu comme un échec a fait couler beaucoup d’encre, en omettant peut-être de préciser que si le mouvement est lent, il est en marche. La conscience, seule animée, ne fait pas tout.

Aujourd’hui, beaucoup de préoccupations se rapportent à ce bien commun qu’est notre monde, et qu’on le veuille ou non, des manifestations visibles du changement apparaissent déjà. Certes, elles appartiennent encore souvent au champ de la réflexion, et parfois des seules bonnes intentions, mais elles se partagent à grande vitesse et à grande échelle. Il suffit de regarder les défis annoncés de nos marchés industriels, il suffit d’écouter ce qui se dit des pays ou des villes qui se comparent les unes aux autres sur leur capacité à faire du durablement responsable, il suffit aussi de constater que déjà nous vivons différemment d’hier. Sommes nous pour autant devenus différents, plus tolérants ? Probablement pas mais notre conscience a déjà fait un bout de chemin vers cet intérêt général qui dépasse nos seules attentes individuelles. Nous partons de loin mais l’important en la matière est de partir ensemble; ce qui constitue la plus grande force en même temps que la plus grande faiblesse de ce qui touche à l’universel. Il faut avouer que se projeter dans ce qui n’est même pas de nature à constituer notre propre long terme individuel est un exercice difficile en soi; que dire lorsqu’il s’agit de l’envisager collectivement.

Parce que cette tendance qui ne dit pas son nom est aujourd’hui ce qui est en train de faire le marché, parce qu’elle est sur tous les viseurs des entreprises, parce qu’elle s’enseigne en même temps qu’elle inspire massivement de nouvelles vocations et de nouvelles envies collectives, parce qu’elle est un enjeu planétaire qui ne connaît pas de frontières, parce qu’elle titille nos consciences éclairées d’une histoire commune et d’une réalité qui se rappelle à nous parfois avec force, cette vague humaine des consciences est en train de replacer le monde dans le champ de l’universalité.

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3 Commentaires le “Le retour de l’universel”

  1. Héron Antoine 23 août 2011 à 14:08 #

    très beau texte, profond, percutant !

  2. Isabelle Jacob 12 septembre 2011 à 10:27 #

    Merci de ce texte plein d’espoir ! Je pense aussi cette vague plus profonde dans le coeur des personnes – et source d’une créativité immense – cordialement – Isabelle

    • greenlandep 27 septembre 2011 à 20:21 #

      Merci de ce commentaire et ravie de savoir que vous partagez aussi cette sensation qu’il se passe quelque chose, qu’un changement en profondeur se profile à l’horizon. Bien à vous.

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