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Emeline Pasquier est une observatrice de l'entreprise à la double expérience, le conseil en organisation et stratégie, et le management en communication et développement durable. Elle est membre du bureau de l'association Innovation Citoyenne et Développement Durable (ICDD).

L’appel de la vie

Ils sont jeunes et moins jeunes, ils ont un travail ou n’en ont pas, ils sont assez nombreux à avoir fait des études. Ils sont mariés ou célibataires, beaucoup ont des enfants. Ils vivent en maison ou en appartement, à Paris, en banlieue ou dans une ville de province, certains vivent en pleine campagne. Ils sont sans le sou, plutôt fortunés ou même carrément aisés. Ils sont nés en France et y ont toujours vécu, ils sont nés hors de France mais y vivent depuis longtemps, ils viennent d’arriver en France. Ils, elles, eux représentent cette pluralité qui se confond chaque jour sur un même territoire, dans une histoire commune, dans un même marché économique, pour des vécus certes différents mais immanquablement liés. En revanche, ils, elles, eux ne sont très probablement pas dirigeants ou administrateurs de grandes entreprises, de ces fleurons français qui constituent le CAC 40 ou le SBF 120. Car ceux-là ils sont différents.

Ceux-là connaissent des endroits où peu iront un jour, ils vivent des situations professionnelles si particulières et aux enjeux si complexes qui les condamnent à être une minorité à part. Ils ont une connaissance et une expérience de vie qui font d’eux des exceptions, des modèles et parfois des icônes.  Certains d’entre eux ont croisé le regard ou échangé des mots avec les plus grands de ce monde, ils ont vu ou su ce que seule l’histoire racontera un jour, ils ont entre les mains un pouvoir d’influence difficilement imaginable. Pour finir, ils ont un accès à notre monde unique. Mais cette unicité a un prix, celui d’une contrepartie bien lourde de conséquences. Si elle ne les a privés d’aucun de leurs sens, elle leur a ôté le bon sens populaire ; ce seul sens que l’expérience concrète de la vie peut offrir en partage. Ils sont ce que les autres ne seront jamais, et ils ne seront jamais ce que sont les autres. Et c’est bien là le problème, car ils ne vivent jamais ce monde qu’ils façonnent pourtant tous les jours pour les autres.

Serait-ce une nouvelle manifestation visible de la fameuse allégorie de la caverne de Platon ? La comparaison est tentante si le constat est brutal. Et l’envie est grande de lancer un appel à tous ces grands patrons, figures imposantes de notre pays, à la tête de nos plus grandes entreprises, à l’initiative de nombreux défis ou chantiers pour demain. Un appel à vivre la vie comme elle s’exprime chaque jour et qui pourrait prendre la forme d’une immersion dans des expériences de vie quotidiennes. Chaque grand patron serait invité pendant un mois durant à expérimenter ce que les autres vivent au quotidien. Les transports en commun, les arbitrages permanents entre la vie personnelle et professionnelle, les problèmes d’argent, les difficultés à trouver un emploi lorsque l’on est étranger, handicapé, jeune ou sans grand bagage scolaire, le travail en open space en usine ou sur un chantier, … Et la liste est loin d’être exhaustive. Redevenir cet homme ou cette femme de la rue qu’à force d’imaginer, on finit par ne plus connaître. Redevenir cette majorité dont la vie est souvent à des années lumières d’une réalité seulement vécue par une petite élite. En somme, créer l’électrochoc susceptible d’ajouter le soupçon de bon sens et la dose d’humanité qui semblent avoir quitté le monde de l’entreprise. Car les Master of Business Administration (MBA) ou autres formations pour dirigeants sont bien loin de proposer un état des lieux de ce type et c’est bien regrettable.

La vie ne peut pas se traduire en études, en rapports d’experts et encore moins se décrypter via le truchement d’indicateurs de performance, qui constituent autant d’ombres qui s’agitent dans une caverne aux parois bien peu poreuses. Or pour agir dans le bon sens, insuffler de nouvelles visions et projets d’entreprise sur le long terme, il faut maitriser son territoire, il faut en comprendre les enjeux de temps et d’espace, ce qui ne peut se faire sans l’expérience de la vie. Rien ne remplace le vécu. Les plus grands leaders de l’histoire (cf. Martin Luther King) ont fait ce qu’ils ont fait parce que l’emprise de la vie avait quelque chose de fusionnel avec leur ressenti et leur envie d’agir; leur vision et leur force d’action sont nées d’un vécu qui les aveuglait. Aujourd’hui, les grands dirigeants ne sont plus aveuglés, ils ne sont plus en situation de voir.

Tout cela va sans doute apparaître populiste voire démagogique à certains, mais l’idée à retenir est qu’il est plus que nécessaire de replacer de la réalité et du concret largement partagé dans l’esprit de celles et de ceux qui n’ont plus l’intrigue, si ce n’est les moyens, de regarder le monde tel qu’il est et tel qu’il se vit sur le terrain, alors même qu’ils en déterminent chaque jour le destin.

ps : Et à un an des présidentielles, la tentation est grande de lancer ce même appel aux candidats de tous bords afin d’affiner leurs jugements et leurs prises de position…

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