À propos de l’article

Information sur l'auteur

Emeline Pasquier est une observatrice de l'entreprise à la double expérience, le conseil en organisation et stratégie, et le management en communication et développement durable. Elle est membre du bureau de l'association Innovation Citoyenne et Développement Durable (ICDD).

Que restera- t –il de l’entreprise quand on aura tout oublié ?

La question peut paraître étrange surtout lorsqu’elle se rapporte à une organisation économique des plus communes et des plus développées. Certes, mais ce qui est commun et répandu n’est pas nécessairement unique, figé, immuable et parfaitement connu. Je serais plutôt tentée de penser concernant l’entreprise qu’il s’agit d’un domaine où tout se voit, où tout s’imagine, le pire comme le meilleur, le tout et son contraire réunis dans un même imbroglio dont il n’est pas si aisé de sortir avec une définition simple et unanime. Ce qui m’interroge particulièrement c’est ce qui fait qu’une entreprise est une entreprise, ce qui détermine ce qui est dans l’entreprise et ce qui n’y est pas, en somme ce qui est constitutif de l’entreprise. De la première question en succède donc tout naturellement  une autre: qu’est- ce- qu’une entreprise ? Est-il seulement possible de la définir ?

Les mots du dictionnaire encyclopédique…

Le contexte actuel nous invite à la prudence. Tout comme la lecture de la définition du mot entreprise du Larousse encyclopédique en couleurs, édition revue et corrigée de 1985, qui à mon grand étonnement, ne fait pas figurer une mais bien plutôt trois définitions de l’entreprise, si l’on veut bien passer sous silence la laconique « affaire commerciale ou industrielle dirigée par une personne morale ou physique privée ».  Il distingue en effet l’entreprise de distribution, « entreprise chargée de vendre les matières premières aux fabricants, les marchandises au consommateur (manufactures, entreprises de construction) », l’entreprise de production, « entreprise dans laquelle l’exploitant exerce une industrie » et l’entreprise de services, « entreprise dans laquelle dans laquelle le commerçant offre à sa clientèle l’usage temporaire de certaines choses ou l’exécution à son profit de certains travaux (entreprise de transport).

De cette lecture qui me laisse plutôt dubitative, je relève néanmoins plusieurs choses. Le marché n’est jamais cité mais il est omniprésent. La notion de partenaires transparaît elle aussi nettement derrière les fabricants que l’on sert (logique fournisseur) et les clients que l’on adresse (les consommateurs, la clientèle). En revanche, il n’est jamais question ou fait mention des collaborateurs.  A ce stade, si l’on oubliait tout, il ne resterait de l’entreprise qu’un processus sans âme. Ce qui n’est peut-être pas si éloigné de la réalité, car qu’on le veuille ou non, l’entreprise est un processus de vente. De distribution, de production ou de services, l’entreprise est une organisation de moyens matériels et immatériels, financiers et humains qui doit vendre pour survivre d’abord, se développer ensuite.

Le truchement du marketing et de la communication

Je reconnais que l’on est bien loin des idées répandues sur les entreprises dont on se plaît souvent à dénaturer l’objet pour en préférer l’image. L’entreprise serait une marque, une réputation, un endroit idéal pour travailler (the best place to work), un marché, voire un leader de marché, mais pas un simple processus commercial.  Il faut dire que les entreprises elles-mêmes ont bien compris qu’elles vendraient mieux en rivalisant d’ingéniosité marketing et d’ingénierie communicante quitte à se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas, des organisations à but sociétal, des représentantes humanistes, car là n’est pas leur but initial. Pourtant, leurs slogans et leurs affichages commerciaux scandent des professions de foi des plus évocatrices : nous répondons à un besoin essentiel de bien –être (l’Oréal), nous sommes le mouvement et l’émotion (Peugeot), avec nous le bon sens a de l’avenir (Crédit Agricole), etc.  Dans ce cas présent, si l’on oubliait tout, l’entreprise serait peut-être un slogan ou un logo, ou peut-être un ensemble imaginaire.

La notion de cœur de métier (core business)

Mais l’illusion est éphémère, car derrière les effets de manche et les délicieuses subtilités du langage, la réalité économique demeure et dans ce contexte, les entreprises  sont parfois bien difficiles à analyser et à considérer dans leur ensemble. En gardant comme postulat de base que les entreprises sont des organisations dédiées à la vente, tout le processus interne qui permet la vente devient constitutif de l’entreprise ; dans les faits, il est clair que ce n’est plus le cas. Le développement de l’externalisation et de tous ces services qui prennent en charge des parties complètes du processus de l’entreprise (comptabilité, systèmes d’information, gestion de la relation client, standard,…), jusqu’à la gestion de ses données critiques, témoigne que l’entreprise  détient un plus petit dénominateur commun qu’il faut chercher ailleurs.

Et sans aller bien loin, c’est la notion de « cœur de métier » qui apparaît aujourd’hui comme le juge de paix capable de distinguer les maillons « in » des maillons « out » du processus de vente de l’entreprise. Le cœur de métier, voilà donc ce qui justifie les recentrages stratégiques, l’arrêt de certaines activités, la délocalisation d’autres ou encore l’appel à de la prestation extérieure. Une notion en forme de critère discriminant qui qualifie précisément l’activité de l’entreprise et caractérise son processus de vente. A ce moment précis, si l’on oubliait tout, l’entreprise se résumerait à son cœur de métier, à condition qu’il soit possible de le déterminer. Car si la notion semble simple, est-il finalement si évident pour une entreprise de déterminer son cœur de métier ? Après 70 ans, quel est le cœur de métier de la SNCF ? Quel est le cœur de métier des banques ? Et de toutes ces entreprises dont le portefeuille d’activités s’est diversifié au cours des ans ? Là encore, je demeure perplexe.

Dans le rétroviseur…

A ce stade, il peut être intéressant de pousser l’analyse auprès de ces entreprises disparues au fil des ans et d’interroger ce qu’il reste d’elles aujourd’hui. Un nom apposé dans une rue, un souvenir vivace dans l’esprit de celles et ceux qui y ont passé plusieurs années de vie professionnelle, un vide difficile à combler pour des retraités en quête de preuves, un produit sur une étagère dont on sait qu’il ne se fera plus. Bref, des monceaux de vécus partagés par un collectif isolé.

Pour terminer…

Finalement, de toutes ces approches de l’entreprise, sans tenter véritablement de donner une définition, je veux retenir quelques faits marquants. L’entreprise est une dynamique. Elle a toujours un but véritable mais qui n’est pas nécessairement dévoilé. L’entreprise est une aspiration pour certains et une inspiration pour d’autres. Elle mêle des intérêts divers parfois diamétralement opposés mais qui s’entendent tant que la dynamique les associe. Pour le reste, je crois bien que tout est ouvert…

Et vous, quelle est votre définition de l’entreprise ? Et que restera – t –il selon vous quand on aura tout oublié ?

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2 Commentaires le “Que restera- t –il de l’entreprise quand on aura tout oublié ?”

  1. Charles Anthoine Bellauderie 27 septembre 2011 à 06:56 #

    Bien le billet! Mais il existe aussi des entités administratives, industrielles et/ou commerciales qui se qualifient « d’entreprises publiques » dont le coeur de métier porte vise précisément – exclusivement – à satisfaire un besoin sociétal. Dans cette perspective, s’agit-il d’une entreprise au sens de ce billet, ou simplement d’une forme particulière (dégradée) d’organisation de l’Etat ou des collectivités publiques? Par ailleurs, certaines entreprises aujourd’hui de droit privé (SNCF-EDF…) et s’inscrivant dans une logique de marché concurrentiel, continuent statutairement d’assurer des missions de service (ou d’intérêt) public. Cette caractéristique est-elle compatible durablement avec le schéma d’entreprise esquissé dans le billet? CAB

    • greenlandep 27 septembre 2011 à 20:30 #

      Merci de ce commentaire qui ne manque pas d’intérêt, bien au contraire, et appelle une réponse. En effet, dans mon esprit et dans l’esprit du billet, les entreprises publiques sont plus une émanation de l’Etat qu’une entreprise à proprement parler. Ces organisations répondent de fait à des logiques différentes et adressent nécessairement des enjeux différents, ne serait-ce que parce qu’elles ne sont pas dans le marché. Toutefois et votre seconde remarque pointe là-dessus, il est certain que la donne est en train de se transformer avec l’ouverture de marchés anciennement publics à la logique du marché et à la concurrence. Mais, je ne veux pas trop donner d’opinion sur la pérennité de l’exercice d’équilibriste qui va consister pour ces dernières à jouer sur les deux tableaux : la logique du service public en même temps que l’entrée dans l’ère de la compétitivité. L’avenir nous dira si l’exercice est tenable. Néanmoins, il est fort à parier que cela ne tiendra pas et que ces organisations finiront par se scinder en deux pour que les deux logiques perdurent (cas du tourisme social en France par exemple).

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