Ils sont de cet âge où le temps passé dans l’entreprise a depuis longtemps effacé celui resté sur les bancs de l’école. Elles appartiennent à ce sexe, que Simone de Beauvoir non sans raison, avait appelé le deuxième sexe. Ils vivent avec un corps qui n’a pas les mêmes ressorts que la majorité des autres. Ils ont cette double, peut-être triple, appartenance culturelle. Ils sont issus de milieux où l’argent a toujours été un problème. Ils, elles, parfois les mêmes, sont ceux que le vocable communément admis aujourd’hui nomme la diversité. Ils, elles, sont cette nouvelle donne que les grandes entreprises semblent découvrir avec souvent beaucoup de désarroi parce que le législatif a voté de nouvelles lois, a imposé de nouvelles réglementations financièrement contraignantes en France, mais également dans de nombreux pays européens.
Un désarroi d’autant plus profond que le constat est frappant ; les grandes entreprises seraient naturellement frappées d’endogamie avec des formes différentes. L’endogamie de direction générale, qui se caractérise par l’omniprésence de la gente masculine aux postes de dirigeants ; l’endogamie de la jeunesse, qui finit par exclure de toute zone d’influence les collaborateurs seniors dans l’entreprise ; l’endogamie de l’élitisme, qui privilégiant de manière assez stricte certaines formations plutôt élitistes se prive d’un rôle pourtant fondamental d’ascenseur social et de réussite par le travail ; l’endogamie du handicap, qui ne permet pas aux personnes en situation de handicap (physique ou mental) de trouver leur place dans l’entreprise.
Un désarroi d’autant plus profond que cette endogamie semble faire un juste écho à la société telle qu’elle se vit au quotidien et dont l’entreprise n’est finalement qu’une projection à plus ou moins petite échelle. L’âge adulte, celui que l’entreprise accompagne, porte en réalité depuis longtemps déjà les stigmates d’une réalité sociale à forte tendance endogame. Ainsi quand l’entreprise devient partie prenante dans la vie d’un homme ou d’une femme, elle intervient déjà tard dans la chaîne de l’intégration sociale. Est-ce à dire qu’elle n’en est pas moins concernée et responsable ? Evidemment non, mais cela invite à considérer le sujet dit de la diversité en entreprise sous un angle plus large, systémique, et pas seulement sous la contrainte réglementaire du « non joueur, payeur ».
Les caractéristiques qui qualifient la capacité d’intégration d’une entreprise, au sens de devenir collaborateur de l’entreprise, sont probablement tout aussi complexes et multiples que les entreprises elles-mêmes. La taille, l’outil de production, le rayonnement, le secteur d’activité, la date de création, l’histoire et la culture, sont quelques unes de ces caractéristiques. Pour une entreprise donnée, l’association de toutes les caractéristiques qualifie précisément la capacité d’intégration, c’est factuel mais c’est aussi fondamental dans la réplication endogame.
A titre d’exemple, une entreprise qui travaille dans des métiers hautement qualifiés va nécessairement recruter les meilleurs diplômés des plus grandes formations ; sans le vouloir, elle génère de l’endogamie de l’élitisme. Allons un peu plus loin. Son cœur de métier est l’ingénierie, l’entreprise concernée va naturellement privilégier le recrutement des meilleurs ingénieurs sur le marché ; sans le vouloir, elle génère de l’endogamie de l’élitisme, de l’endogamie de genre, ainsi que de l’endogamie du handicap. En effet, la filière des ingénieurs est sous féminisée ; de même, les personnes en situation de handicap sont encore très peu nombreuses dans les études supérieures.
Je conviens aisément que mon exemple n’est pas représentatif de l’ensemble, toutefois, il m’invite à penser la question de la diversité comme élément fondateur de société et pas seulement comme une attente pour l’entreprise. Pour reprendre mon exemple, doit-on exiger des quotas de représentativité de la diversité sous peine de sanction financière ou s’interroger en profondeur sur la difficulté d’accès des personnes en situation de handicap aux études supérieures ? Sur la faible féminisation de certaines filières métiers ? Sur la difficulté pour ceux qui n’ont pas les moyens de faire les études qui ouvriront leur champ des possibles ? Et pour finir, sur la difficulté pour celles et ceux qui ont passé l’âge (ce qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un autre débat) d’être dans l’entreprise de retrouver une utilité sociale ?
Autre questionnement sur le fond de mon exemple. Est- ce- qu’il est attendu des entreprises qui œuvrent dans l’ingénierie de développer la proportion de femmes qui suivent des études d’ingénieur ? Est-ce de leur responsabilité de permettre dès l’entrée à l’école aux enfants en situation de handicap de poursuivre une scolarité qui leur ouvrira au maximum le champ des possibles ? Ce questionnement qui pour moi est largement ouvert aujourd’hui est loin d’être sans conséquence, en particulier si la réponse est oui.
Pour terminer, j’aimerais dire que le sujet est beaucoup complexe et insidieux qu’on veut bien le dire, et par certains côtés, je ne suis pas loin de penser que l’entreprise est aujourd’hui attendue sur des fronts qui la dépassent. Car si tel n’est pas le cas, il convient de définir précisément ce qui est aujourd’hui attendu d’un acteur de société comme l’entreprise (quels droits pour quels devoirs, quel rôle pour quelle responsabilité).
Rétroliens/Pings
[…] Diversité, endogamies, quelle responsabilité sociale … Emeline Pasquier est une observatrice de l'entreprise à la double expérience, le conseil en organisation et stratégie, et le management en communication et développement durable. Elle est membre du bureau de … Source: contributionlibre.wordpress.com […]
[…] aussi parfois par un effet de miroir à reproduire ce qui s’y vit comme cela s’y vit (cf. Diversité, endogamies, quelle responsabilité sociale ? ). Parce que l’entreprise est une pièce maitresse de l’écosystème dont elle est […]