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Information sur l'auteur

Emeline Pasquier est une observatrice de l'entreprise à la double expérience, le conseil en organisation et stratégie, et le management en communication et développement durable. Elle est membre du bureau de l'association Innovation Citoyenne et Développement Durable (ICDD).

L’allégorie du tailleur de pierre

Si l’allégorie du tailleur de pierre est, certes, moins connue que celle de la caverne de Platon, elle n’en est pas moins particulièrement bien adaptée au contexte de l’entreprise et à ce qui lui fait si souvent défaut : la capacité à déterminer une vision d’avenir et, plus encore, à la partager avec ceux qui lui donnent vie. Pour résumer brièvement cette allégorie, elle porte sur trois tailleurs de pierre qui façonnent, quasiment côte à côte, une pierre. Le premier tailleur de pierre, assis sur sa chaise, travaille presque mécaniquement sa pierre et quand on lui demande ce qu’il est en train de faire, c’est l’air un peu ahuri qu’il répond qu’il taille une pierre. Non loin de lui, un second tailleur de pierre effectue le même travail, avec les mêmes outils et la même technique, mais de façon un peu plus méthodique. Quand on lui demande ce qu’il est en train de faire, il explique posément qu’il taille une pierre pour construire un mur. Quelques mètres plus loin, un troisième tailleur de pierre travaille consciencieusement sa matière première avec un respect quasi religieux. Il a exactement les mêmes outils et la même technique que les deux autres tailleurs de pierre mais, ce qui le rend différent, c’est la délicatesse avec laquelle il taille sa pierre comme s’il s’agissait d’un diamant. Et quand on lui demande ce qu’il est en train de faire, il répond dans un large sourire : « je suis en train de construire une cathédrale ».

Cette allégorie, dont j’apprécie autant la justesse que la poésie, me fait immanquablement penser à cette réalité de l’entreprise, ô combien répandue, qui ne sait plus offrir ce soupçon de magie qui transforme une tâche quotidienne en un formidable projet. Combien sont-elles, aujourd’hui, les entreprises qui permettent à leurs collaborateurs de dépasser la perception de leur travail quotidien pour leur offrir le ressenti intime d’être pleinement acteurs d’un projet plus grand qu’eux, d’un projet qui les dépasse ? Difficile de le dire mais, ce qui est certain, c’est qu’elles sont bien trop nombreuses à ne pas y être. De ces entreprises qui s’illusionnent en pensant qu’il suffit de partager des chiffres pour construire ensemble, qu’il suffit d’être plus nombreux pour être plus grands, qu’être présent partout nous autorise à être vraiment nulle part. De ces entreprises qui confondent le plus souvent les objectifs avec l’ambition, et dont le regard n’a plus qu’un horizon fini et déterminé, perdu quelque part dans un rétroviseur.

D’aucuns appellent cela une vision, d’autres un projet avec un grand P, certains y voient une mission quasi universelle. Dans le fond, peu importe la terminologie choisie, ce qui est important et fondamental, c’est cette capacité à proposer à chaque collaborateur, quelle que soit sa place dans l’entreprise, d’être l’artisan d’un ouvrage à large portée. Un ouvrage dont il sera, plus tard, fier de raconter l’histoire, et surtout fier de dire qu’il y était. Combien de réseaux d’anciens (les « Alumni » et compagnie), plus nombreux d’années en années, portent en eux la mémoire d’une histoire et d’un symbole comme ceux de l’usine Renault de l’île Seguin, à travers son Association des anciens travailleurs de l’Ile Seguin (ATRIS) ? Et que l’on ne s’y trompe pas, si je perçois derrière cette capacité à proposer un but en forme de défi à ses collaborateurs, un vrai rôle social pour l’entreprise, une vraie responsabilité sociétale, la démarche n’en est pas moins gagnante pour tout le monde. La motivation, l’engagement, le dépassement de soi, la solidarité, la fierté et le sentiment d’appartenance sont autant de notions qui se renforcent au sein de l’entreprise qui a su proposer autre chose que son évidente et élémentaire fonction de pourvoyeur de travail (cf. http://wp.me/p1FsFf-Z ).

Peut-être que certains vont penser que je suis dans l’angélisme et qu’il ne tient finalement qu’à chacun de nous d’être cet acteur du grand tout. Mais, en ce qui me concerne, je crois que s’il est toujours de notre volonté d’entrer dans une aventure qui nous est proposée, encore faut-il qu’aventure il y est. Et cette réserve, cette nuance, qui pourrait passer pour un jugement de valeur constitue pour moi, sinon une condition de l’entreprise durablement responsable, une caractéristique particulièrement discriminante puisqu’elle distingue les entreprises véritablement utiles ; à savoir : celles qui donnent à un individu, homme ou femme, le sentiment d’une profonde utilité. Une profonde utilité qui, comme  un supplément d’âme, rend non seulement le collaborateur parfaitement intégré à l’entreprise, mais totalement intégré dans la société dans laquelle il y trouve sa place.

Pour finir, j’aimerais terminer en disant que cette capacité et cette volonté pour l’entreprise sont comme les outils du tailleur de pierre. A peu de choses près, ce sont les mêmes qu’à l’époque de la construction des cathédrales; le progrès technique, la technologie et l’innovation n’ont que peu de place en la matière. Si pour le tailleur de pierre les outils, les techniques et l’amour du travail bien fait n’ont pas changé, pour le dirigeant d’entreprise, et quoi qu’on en dise parfois, les attentes vis à vis de l’entreprise n’ont pas pris une ride.

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5 Commentaires le “L’allégorie du tailleur de pierre”

  1. resiliencesnucleaires 21 décembre 2011 à 10:40 #

    Ce constat est très juste: beaucoup de salariés peinent à s’incrire dans une perspective à long terme qui transcende leur propre travail. En fait, une des caractéristiques de notre époque par rapport à celle des tailleurs de gargouilles des cathédrales, réside dans notre rapport au temps qui a changé: tout devient devient un alibi du présent et par conséquent urgent. Dans ces conditions, comme l’a très bien montré dans un livre récent, Gilles Finchelstein, nous visons en permanence sous la « dictature de l’urgence »… et des marchés, dont la mobilité effrayante et quasi incontrôlable amplifie le phénomène. D’ailleurs, où est la poule et où est l’oeuf? N’est-ce pas la pression du capitalisme financier qui crée l’urgence et rend myope. Sans perspective ni conscience sur le devenir de notre travail. Donc aussi irresponsable!! CAB

    • ludobenoit974 13 décembre 2015 à 09:22 #

      Je suis tout à fait d’accord avec vous sur votre analyse et sur les questions qui en découlent.

  2. François GAL, BNSI.fr recrute 28 juillet 2016 à 10:38 #

    Merci pour l’article ! C’est bien tout l’enjeu d’une entreprise : transmettre aux collaborateurs le sens de la mission, la raison d’être de l’entreprise, pour que les collaborateurs aient envie de faire les choses et non pas qu’ils y soient contraints.

  3. Sophie Considere-Baranton 17 Mai 2017 à 09:32 #

    Je tombe sur votre blog aujourd’hui. Merci pour ce très beau rappel de cette allégorie. Oui encore mille fois oui, c’est dont ont besoin la majorité des entreprises et organisations de nos jours, et c’est ce qui me porte pour participer à cette transformation historique du monde du travail !

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